« Avec l’intelligence artificielle, la peur du grand remplacement agite la musique et les arts visuels »


A chaque jour qui passe, le monde de la culture prend un coup sur la tête à cause de l’intelligence artificielle (IA). En premier dans la musique et les arts visuels, là où les logiciels redoublent de prouesses. Et on n’en est qu’aux balbutiements. Les algorithmes portent des espérances, mais, pour l’instant, il n’est question que de créateurs bafoués, plagiés, mis au rancart par les machines, et d’un public trompé sur la marchandise – il croit entendre Elvis Presley dans un morceau inédit et c’est un avatar numérique.

Dans ce débat, les créations sous IA sont encore peu analysées. Aussi peu que la société qu’elles dessinent. L’entreprise américaine Levi Strauss & Co, qui n’est pas la PME du village, nous en donne l’occasion. Le fabricant de vêtements, célèbre pour ses blue-jeans, s’apprête à lancer une vaste campagne d’images publicitaires avec des mannequins générés par cette technique. La firme s’est associée à Lalaland.ai, studio néerlandais en pointe pour fournir des garçons et des filles de pixels.

Les justifications de Levi’s sont instructives. Selon l’entreprise, le consommateur fera d’abord « une expérience d’achat plus personnelle ». Lisez : il pourra se confronter à des gens comme lui. Des gens faux, mais des vrais en fait, au sens où ils lui ressembleront plus que des héros sur papier glacé. Pas de corps de rêve, pas de Brad Pitt.

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La photo dévoilée pour lancer la campagne est le portrait d’une jeune femme, la vingtaine, longs cheveux non retenus, portant un tee-shirt blanc et une robe en jean, regardant la caméra, plus absente qu’habitée. Le trait est incertain entre le menton et le cou, le visage est lisse, sans caractère particulier. Ah oui, elle est Noire, mais pas trop.

Pas d’ego à gérer

C’est la deuxième justification de Levi’s dans son choix de l’intelligence artificielle : « Augmenter le nombre et la diversité de nos mannequins » afin d’être plus « inclusif ». Levi’s entend donc faire le bien de ses clients, qu’il nomme « communautés », puisqu’ils trouveront de quoi s’identifier parmi les multiples combinaisons de « types de corps, d’âges, de tailles, de races et d’origines ethniques ». Mais la firme entend aussi, et c’est inédit dans le discours, faire le bien de notre société contemporaine en mettant en avant toutes sortes de minorités pixellisées.

Gonfler son catalogue de mannequins répond à une logique commerciale que l’on peut comprendre, d’autant que l’entreprise continuera à travailler avec des top models en chair et en os. Mais avancer des raisons éthiques dans l’usage de l’IA, c’est pousser loin le bouchon. Levi’s déclarait, en 2020, que les Noirs « méritent mieux » que leur visibilité actuelle. Eh bien, si l’entreprise veut aider, elle n’a qu’à rémunérer de vrais Noirs en leur faisant enfiler une paire de jeans et en les faisant poser devant un photographe. C’est dans la vraie vie qu’on juge l’inclusion, pas dans le métavers.

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